Le Jardin des supplices
Ironiquement, le romancier dreyfusard a dédié cette œuvre « Aux Prêtres, aux Soldats, aux Juges, aux Hommes, qui éduquent, dirigent, gouvernent les hommes, ces pages de Meurtre et de Sang ». Ce roman, publié au plus fort de l’affaire Dreyfus, à la veille du procès d’Alfred Dreyfus à Rennes, résulte d’un bricolage de textes conçus indépendamment les uns des autres, à des époques différentes, en des styles différents et avec des personnages différents. On trouve tout d'abord des articles sur la « loi du meurtre » : ils constituent le Frontispice du roman, qui présente une discussion d'après-boire entre intellectuels positivistes. Puis vient En mission, première partie d'une narration orale intitulée Le Jardin des supplices : il s'agit d'une caricature grotesque des milieux politiques français de la Troisième République, où l'on voit l'anonyme narrateur, petit escroc de la politique devenu compromettant pour son ministre de tutelle, se faire envoyer à Ceylan sous le prétexte farcesque d’une mission d'embryologiste… Dans la troisième partie du roman (deuxième partie de cette narration, également intitulée Le Jardin des supplices), nous avons droit au récit d'une visite du bagne de Canton. Extrait : --- Pourtant, il est certain qu'ils sont anthropophages ?... persista le gentilhomme... -- Les nègres ? protesta l'explorateur... Pas du tout !... Dans les pays noirs, il n'est d'anthropophages que les blancs... Les nègres mangent des bananes et broutent des herbes fleuries. Je connais un savant qui prétend même que les nègres ont des estomacs de ruminants... Comment voulez-vous qu'ils mangent de la viande, surtout de la viande humaine ? -- Alors, pourquoi les tuer ? objectai-je, car je me sentais devenir bon et plein de pitié. -- Mais, je vous l'ai dit... pour les civiliser. Et c'était très amusant !... Quand, après des marches, des marches, nous arrivions dans un village de nègres... ceux-ci étaient fort effrayés !... Ils poussaient aussitôt des cris de détresse, ne cherchaient pas à fuir, tant ils avaient peur, et pleuraient la face contre terre. On leur distribuait de l'eau-de-vie, car nous avons toujours, dans nos bagages, de fortes provisions d'alcool... et, lorsqu'ils étaient ivres, nous les assommions !... -- Un sale coup de fusil ! résuma, non sans dégoût, le gentilhomme normand, qui, sans doute, à cette minute, revoyait dans les forêts du Tonkin passer et repasser le vol merveilleux des paons...
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