Sébastien Roch
Dans ce troisième roman signé de son nom, Mirbeau transgresse un tabou majeur : celui du viol d’adolescents par des prêtres, sujet dont on n’a commencé à parler qu’un siècle après sa publication. Aussi bien ce beau et émouvant roman a-t-il été victime d’une véritable conspiration du silence. C’est le récit du sacrifice d’un enfant dont toutes les qualités sont détruites par ses années de collège et les viols qu’il y subit. Arrivé sain de corps et d’esprit au collège des Jésuites de Vannes — où Mirbeau lui-même fit ses études et dont il a été chassé dans des conditions plus que suspectes, en 1863 — le jeune Sébastien Roch, au prénom et au patronyme hautement significatifs, est souillé à jamais et lui aussi injustement chassé sous une accusation infâmante. L’éducation jésuitique constitue un viol de son esprit, suivi du viol de son corps, au terme d’une entreprise de séduction conduite cyniquement par un prêtre machiavélique, son propre maître d’études, le Père de Kern. Celui-ci le fait encore chasser honteusement du collège sous prétexte de prétendues « amitiés particulières » avec son seul ami et confident, le taiseux et révolté Bolorec. Extrait : Un père surveillant, qui, non loin de là, lisait son bréviaire, vint se mêler au groupe. L'enfant se crut sauvé : « Il va les faire taire, les punir », pensa-t-il. S'étant informé pourquoi l'on riait de la sorte, le Jésuite se mit, lui aussi, à rire, d'un rire amusé, discret et paterne, tandis que son ventre rond, secoué de légers soubresauts, gonflait gaiement la soutane noire. Alors, pour ne plus entendre ces rires et ces voix qui lui faisaient mal, pour échapper à ses regards qui le martyrisaient, Sébastien courba la tête et s'éloigna désespéré. Dans la vaste cour, entourée d'une haute barrière blanche et fermée sur le parc par une quadruple rangée d'ormes grêles, les enfants de son âge couraient, jouaient, d'autres se promenaient, bras dessus, bras dessous, sérieux et bavards ; d'autres encore, assis sur les marches du jeu de paume, narraient les prouesses de leurs vacances. Il n'en connaissait aucun. Pas un visage ami, pas une allure familière, pas une main prête à se tendre vers sa détresse de nouveau venu. Avec une serrée au cœur, il observait que des élèves, arrivés comme lui, de la veille, comme lui dépaysés, perdus, tout bêtes, se cherchaient, se rapprochaient, commençaient des ébauches d'amitié, sous l'œil favorable des maîtres. Seul, il restait à l'écart, n'osant faire aucune avance, de peur des rebuffades ; il sentait s'élargir le vide autour de lui, irrémédiablement, il le sentait s'élargir de tout l'infranchissable espace, de tout l'inviolable univers qui le séparait de Guy de Kerdaniel, et des autres, de tous les autres.
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